FOOTBALL : « L'AS SOGARA était mieux organisée que tous les clubs d'aujourd'hui », selon son Jean Claude Yenot

En termes de résultats, l’AS Sogara est de loin la meilleure équipe de football au Gabon. En effet, depuis le 7 décembre 1986 date à laquelle elle a perdu la finale retour de la Coupe d’Afrique des vainqueurs de coupe face aux égyptiens du National Al-Ahly (Ndlr : victoire gabonaise à Libreville 2-0 mais défaite des gabonais en Egypte 0-3), aucune équipe n’a fait mieux que celle de la capitale économique. Bien au contraire, les équipes du National foot au Gabon peinent à convaincre sur la scène africaine. Alors que le championnat est dit « professionnel » on assiste impuissant à une dégradation tuante du sport roi. Les acteurs manquent de génie, les équipes ont un niveau de faiblesse qui filtrent avec le ridicule, ce qui a pour conséquence, de ne pas drainer le public dans les stades avec en outre, des minables prestations lors des campagnes africaines. Lors du symposium sur la relance du sport dans la province de l’Ogooué-Maritime la semaine dernière, Jean Claude Yenot, ancien président de la glorieuse équipe de Sogara a émis de fortes idées pour la relance du sport dans la province et partout au Gabon. Dans cette interview, il revient sur la gestion de son équipe il y a 30 ans tout en comparant la gestion de nos équipes aujourd’hui. Entretien.

Gaboneco.com : Mr Jean Claude Yenot, vous étiez le président de l’AS Sogara, l’unique équipe gabonaise à avoir joué une finale de Coupe d’Afrique des clubs. Pourquoi l’ AS Sogara était-il un grand club ?

Jean Claude Yenot : Pour simplifier ; nous étions une équipe soudée avec des gens formés chacun dans son domaine. Chacun savait jusqu’où s’arrêtait son rôle. Mais chacun assumait son rôle entièrement et pleinement. A partir de là, chacun savait ce qu’il avait à faire par rapport aux objectifs que nous nous étions fixés. Il n’y avait pas d’improvisation et chacun aimait son travail.

GE : Quels étaient vos objectifs ?

JCY  : Etre parmi les meilleurs. Faire monter le club progressivement en puissance. Nous avons fait des prospections et nouer des alliances avec par exemple le collège Raponda Walker (basé à Port Gentil) où il y avait de très bon jeunes joueurs et nous sommes allés recruter des grands joueurs en Afrique. Dans cet ensemble nous avons bâti une grande équipe avec un grand entraineur européen. Naturellement il nous fallait des moyens. Le sponsor (La société gabonaise de raffinage) nous a donné les moyens nécessaires.

GE :Comment l’AS Sogara était structurée dans les années 80 ?

JCY  : Il y avait un comité directeur qui rendait compte au directeur général de la Sogara chaque année. On avait selon les statuts une réunion par mois. Maintenant on pouvait se retrouver deux à trois fois par mois en raison de l’urgence.

GE : Comment à l’époque gérait-on les finances ?

JCY  : Nous avions un compte dans une banque de la place. Il y avait une double signature pour éviter le vol. J’étais contrôleur de gestion. Le trésorier et moi signions sur la base des décisions prises par le comité directeur. C’était le gage d’une gestion et d’un fonctionnement harmonieux au niveau des finances. Donc personne ne pouvait soutirer le moindre franc.

GE :Le vol était-il proscrit ?

JCY  : Ce n’était pas possible de voler. Puisqu’à la fin de la saison il y avait une vérification drastique des comptes. Il n’y avait pas possibilité qu’un sous sorte sans contrôle. En plus, le trésorier de l’époque était le directeur financier de la société.

GE : Vous avez encore des regrets à propos de cette finale perdue au stade Omnisports de Libreville contre Al-Ahly d’Egypte ?

JCY  : Bien entendu, j’ai encore mal 30 ans après. Est-ce que vous savez que l’arbitre zimbabwéen qui était un blanc nous avait privés de deux penalties. Je rappelle que c’était l’époque de l’Apartheid avec deux penalties et d’autres occasions on gagnait cette finale mais c’est dommage.

GE : Lors de cette finale un porc avait fait son apparition sur le terrain racontez-nous un peu de quoi il s’agissait ?

JCY  : C’était l’idée de l’un de nos supporters. Un certain « Bonbon » était venu me voir pour me faire part de sa volonté de faire sortir un porc durant la partie pour intimider nos adversaires. J’ai demandé pourquoi il m’a dit que comme nos adversaires étaient musulmans ils auraient peur du cochon. J’avais refusé, mais je n’ai pas été écouté. Le stade était plein à craquer. Donc impossible d’empêcher cela.

GE :Le gouvernement a débloqué des milliards pour favoriser le championnat professionnel mais à l’épreuve des faits les clubs sont pauvres. Même aller en mise aux vert comme à l’époque est devenu impossible. Quelle est la différence entre hier et aujourd’hui ?

JCY  : Par exemple au niveau de la mise au vert, toutes les équipes de l’époque se rendait en Europe. Je dis bien toutes les équipes. Il n’y avait pas que Sogara. Pétro, la JAC, Mbilinga, USM, CSB et autres allaient se préparer en Europe. Aujourd’hui même partir là, à coté en Guinée-Equatoriale est devenu un casse-tête pour les équipes. A notre époque nous étions organisés de telle sorte que les moyens nous permettaient de voyager. Notre ancien directeur général avait même décidé d’envoyer un de nos joueurs en stage à Vichy en France pour qu’il sorte entraîneur de 3e degré, mais ce joueur dont je ne vais pas citer le nom n’avait pas les bases théoriques.

GEPourquoi les équipes comme Sogara, Pétro Ndella et autres la JAC sont-elles mortes ?

JCY  : C’est la dévaluation en 1992 qui a sonné le glas de notre championnat. Cette dévaluation a fait des dégâts dans toutes les sociétés. Tout coûtait le double. Sogara qui était une société d’Etat n’avait plus les moyens pour fonctionner. On a du arrêter. S’il y avait eu à l’époque un relais rapide de l’Etat on n’en serait pas là.

GE : L’état a professionnalisé le football, mais c’est pire qu’avant en termes de résultats. Comment analysez-vous cette situation où beaucoup de dirigeants sont accusés de vol ?

JCY  : Ce n’est pas l’état qui a professionnalisé le championnat. C’est une exigence de la FIFA. J’ai assisté à cette réunion à Libreville, il y a quelques années. Je dirigeais à l’époque le Stade Mandji. Il y avait tout un cahier de charge qui n’est pas respecté à ce jour. Les clubs n’ont pas de moyens. Ils n’ont pas de terrain, pas de kiné, bref il leur manque tout pour être professionnel. Nous à notre époque on avait déjà tout ça. Aujourd’hui le constat est clair. C’est une professionnalisation au rabais.

GE :A l’époque le gouvernement avait imposé à toutes les sociétés d’encourager le sport et le football, pourquoi ce n’est pas le cas aujourd’hui ?

JCY  : Exactement mais ce n’était pas une imposition. C’était un souhait entériné par des dirigeants amoureux de football. Il n’y avait aucune obligation légale. Le premier Ministre d’alors, feu Léon Mébiame, avait donné des consignes dans ce sens. On avait un ministre qui avait pratiqué le football (Ndlr : Abessolo) qui a motivé fortement cette décision. C’est comme cela que les sociétés se sont mises au travail. Il faut d’abord le vouloir ensuite créer les conditions.

GE : Que faire pour soigner le football gabonais ?

JCY  : C’est compliqué. Il y a de l’argent mais qui est mal utilisé. Il faut une nouvelle et bonne gouvernance dans la gestion de notre football. Il faut des encadreurs et des dirigeants de valeur. Les sociétés peuvent se mutualiser. Par exemple à Port-Gentil, Sogara et Total Gabon peuvent se liguer pour créer deux grands clubs et mettre des moyens conséquents. Il faut cultiver le sponsoring dans les clubs. A cela il faut ajouter le cadre juridique adéquat.

GE :Quel est le souvenir que vous gardez précieusement de votre passage à la tête de l’AS Sogara ?

JCY  : (Son visage devient subitement triste….). C’est en 1992 quand Sogara a joué son dernier match au stade Pierre Claver Divoungui. De Port Gentil. Tout le stade pleurait et j’ai versé des larmes j’avais mal au cœur. Je n’oublierai jamais cette image…. (Jean Claude Yenot s’est mis à pleurer il s’est excusé, ce qui a mis un terme à l’interview…).


Interview réalisée à Port-Gentil par YAO



Avec Gabon Eco

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