PROCES DU PUTSCH MANQUE   :  Des avocats de la défense dénoncent « la fragilité » des preuves

Le jugement du dossier du putsch manqué qui a débuté le 27 février 2018, se poursuit. Au Tribunal militaire, on est au stade de l’audition des accusés. Le 23 juillet 2018, le tribunal a entendu le sergent Nobila Sawadogo, le sergent Abdoul Nafion Nébié et le soldat de première classe Medanimpo Lompo. Ils sont inculpés pour « attentat à la sûreté de l’Etat, meurtres sur 13 personnes, coups et blessures sur 42 personnes ; destruction et dégradation volontaire de biens ». Les mis en cause ne reconnaissent pas les faits qui leur sont reprochés.

 

Le matin du 23 juillet 2018, l’audience a repris et le président du tribunal a appelé à la barre le sergent Nobila et son avocat commis d’office, Me Flore Toé. Il est  reproché au sergent Nobila Sawadogo, les faits suivants : « attentat à la sûreté de l’Etat, meurtres, coups et blessures volontaires, destruction et dégradation volontaire de biens ». A la barre, l’accusé a dit ne pas reconnaître les faits. Avant de donner sa version des faits, le sergent qui a perdu son père le 18 août 2015, a tenu à « s’incliner  en la mémoire  des disparus »,  souhaité que Dieu apaise les cœurs des parents de ceux qui sont décédés et souhaité « prompt rétablissement aux blessés ». C’est alors qu’il a commencé à raconter les faits « tels qu’il les a vécus » : « Le 16 septembre, je n’étais pas de service mais je suis allé au rassemblement et après, je suis reparti en ville pour payer des fournitures ». Quand il a fini de faire ses courses, il a dit  s’être assis dans un maquis pour prendre une bière et un morceau de viande et faire ses comptes. Et c’est vers 15h 30mn que son portable a sonné. Quand il a décroché, c’était un ami civil qui lui a demandé s’il est au courant que le président de la Transition, le Premier ministre et des ministres ont été arrêtés. Le sergent Nobila Sawadogo : « J’ai raccroché et j’ai appélé Jean Yonli qui m’a dit que le major Badiel a dit que tout le monde est appelé au camp. Je suis rentré à la maison manger et j’ai raconté ce qui se passe à ma femme qui m’a déconseillé de me rendre à la présidence. Mais j’ai tenu à m’y rendre pour comprendre ce qui se passait. Habillé en civil, j’ai  démarré ma moto pour me rendre à la présidence. Mais arrivé au niveau du carrefour de BF1, j’ai constaté que le grand portail était fermé et qu’il y avait des militaires en armes devant la porte. Certains étaient cagoulés. Ils me faisaient signe de passer par la porte ouest. Chose que j’ai faite mais arrivé là-bas, de jeunes militaires m’ont arrêté parce qu’ils doutaient que je sois militaire à cause de la tenue et parce qu’ils ne me connaissaient pas.  En fait, de 2011 à 2014, j’ai été détaché pour la sécurité rapprochée de Arsène Bongnessan Yé. Et de 2014 à 2015, j’ai effectué une mission au Darfour. Il a fallu que je leur présente ma carte pour qu’on me laisse passer. Quand je suis rentré, j’ai vu des militaires armés qui entouraient la résidence. J’étais paniqué et j’ai continué au camp, là où je prends la garde. Là où j’ai vu Yonli G. Jean. Je suis rentré dans la pièce dans laquelle j’ai l’habitude de me reposer. C’est dans cette pièce que j’ai l’habitude de laisser ma tenue,  mon arme et mes 4 chargeurs dans un carton. J’ai cherché ma tenue « Léopard », mais elle avait disparu ainsi que mon arme, et les 4 chargeurs étaient là. J’avais une vieille tenue que je me suis résolu à porter et je suis allé voir le  major Badiel qui m’a dit que derrière le bâtiment, il y a des jeunes, de prendre la garde avec eux. Quand je suis arrivé, j’ai demandé aux jeunes ce qu’il y avait dans le bâtiment. Ils m’ont dit que ce sont des gens qu’on a  ramassés venir mettre là-bas. J’ai tout de suite fait la relation avec ce que mon ami civil m’a dit. Le 17 septembre, Léonce So, Amado Kafando et moi avons embarqué pour aller à la présidence. So Léonce et moi avons été commis à la sécurité rapprochée du Général Diendéré. (Président du CND). J’ai dit à So Léonce que comme ce n’est pas quelque chose de bon, c’est pourquoi on nous a envoyés ici. Si c’était bon, on n’allait pas nous envoyer ici parce que depuis que j’ai fait ma formation de sécurité rapprochée au Maroc, je suis sorti une seule fois avec le président Blaise Compaoré et c’était au cinquantenaire du Mali.

 

Des génies à la résidence du chef de l’Etat

 

Donc, il fallait que je trouve une solution pour quitter. J’ai alors demandé ma relève. Et c’est le sergent Natani Lompo qui est venu me relever. C’est ainsi que le major m’a dit de rentrer au PC (Poste de commandement) et de rester parce que le quartier est consigné. J’ai fait quatre jours sans voir ma famille. Alors j’ai demandé la permission pour rentrer mais après, je suis revenu. Les 24 et 25 septembre, le lieutenant a dit que tous ceux qui veulent réintégrer leurs armes peuvent le faire. Moi, j’avais une kalachnikov, 4  chargeurs et 120 munitions que je suis allé remettre. Mais le magasinier n’était pas là. Comme il n’était pas là, on m’a même confié d’autres armes pour le magasinier. Quand il est arrivé, je lui ai donné les armes et j’ai profité de l’inattention des  gens pour quitter. Et c’est le 28 septembre que  j’ai récupéré mon ordre d’affection au 10e  RCAS à Kaya pour rejoindre».  Faits intrigants, le sergent Nobila Sawadogo a confié que depuis que la résidence n’est pas habitée, la nuit, quand il monte la garde, il y a des bruits bizarres comme s’il y avait des génies. Donc, il a demandé au major Badiel de leur trouver un autre poste. A la fin de la relation des faits, le procureur a trouvé que le propos du  sergent Nobila Sawadogo traduit une certaine sincérité. Le procureur a demandé à l’inculpé si c’était un honneur pour le sergent Sawadogo d’être  de la garde rapprochée du Général Diendéré, parce que ceux qui ne voulaient pas ont déposé tenues et armes pour fuir mais pourquoi pas lui ? « Ce n’est pas un honneur pour moi d’être de la garde du Général. Je ne pouvais pas quitter parce que je ne savait pas quel sort me serait réservé », a-t-il répondu.  Ce qui est sûr, Me Flore Toé a affirmé que son client n’a pas participé à une quelconque rencontre, parce qu’il a un alibi qui prouve qu’il n’était pas à la présidence et même que des témoins viendront témoigner en sa faveur en temps opportun. Du côté de la défense, Me Dieudonné Bonkoungou s’est indigné du fait que dans le dossier du putsch manqué, il y a des gens qui sont poursuivis et d’autres pas. Et pourtant, ces gens qui ne sont pas poursuivis, n’ont pas fait moins que ceux qui le sont. Qu’à cela ne tienne, le sergent  Sawadogo a dit ne pas être coupable ; ni de meurtres ni de destruction et de dégradation de biens. Toute chose que son avocat a confirmée. A la fin de son audition, le sergent Nobila  a « demandé des excuses à tout ceux qu’il aurait offensés à la barre ». Après le sergent Nobila Sawadogo, c’était au tour du sergent Abdoul Nafion Nébié de venir à la barre. Né en 1988,  le sergent Abdoul Nafion Nébié purge une peine de 10 ans à la Maison d’arrêt et de correction de l’Armée (MACA), peine qu’il a écopée suite au procès de la poudrière de Yimdi. Pour le procès du putsch manqué, il est poursuivi pour « attentat à la sûreté de l’Etat, meurtres sur 13 personnes, coups et blessures volontaires sur 42 personnes, destruction et dégradation volontaire de biens ». L’inculpé a affirmé ne pas reconnaître les faits qui lui sont reprochés. « Le 16 septembre 2015 et les jours suivants, j’étais de garde. Comme c’était la fin du mois,  je suis sorti faire des courses. A un moment donné, mon chef de corps adjoint m’a dit de rejoindre le camp parce que le quartier est consigné.

 

Abdoul Nafion est-il allé à Zorgho ou pas ?

 

J’ai donc rejoint mon poste au Conseil de l’entente. J’y suis resté pendant 48 heures. Je ne suis allé au camp Naaba Koom que pour le rassemblement général le 17 et après, on nous a dit d’aller rencontrer Macky Sall à la présidence ». Abdoul Nafion a dit que c’est sur Internet qu’il a appris que le Conseil des ministres a été suspendu. Il est à noter que Abdoul Nafion est celui qui a aidé Sanou Ali et compagnie à fuir en Côte d’Ivoire en passant par Léo et le Ghana. Une désertion qui leur a valu la radiation de l’Armée nationale pour désertion en temps de paix. Et le parquet militaire a beaucoup insisté sur cet épisode de la fuite en Côte d’Ivoire. Toute chose qui a agacé l’inculpé qui a même dit de ne pas l’appeler sergent Nébié mais Nébié tout simplement. Il a tenu à faire comprendre que les déclarations auxquelles font  référence le parquet, c’est du « coupé-raccommodé » et « ce sur quoi le parquet l’interroge,  ce sont des déclarations du dossier Yimdi ». Le parquet a fait remarquer  que même si Abdoul Nafion dit ne s’être pas rendu à Zorgho, Ali Sanou, Poda, Zerbo  et autres ont dit qu’il les a suivis pour la mission de Zorgho et à Abazon et même qu’ils sont rentrés à Ouagadougou tard dans la soirée.  Abdoul  Nafion dit ne pas être parti à Zorgho. Et Me Sandwidi Alexandre de faire remarquer que le parquet n’a pas d’éléments précis, si ce n’est dire qu’untel a dit ceci et un autre a dit cela. Pour lui, les déclarations sur lesquelles se fondent le parquet ne sont pas solides pour ne pas dire qu’elles sont  « fragiles ». Il a réaffirmé que son client a été constant dans ses déclarations et que le dossier ne contient pas d’éléments  qui puissent le confondre, mais sa réputation dans le dossier de la poudrière de Yimdi, le poursuit. Et le procureur de faire remarquer que même pendant la confrontation devant le juge d’instruction, des éléments ont reconnu que Abdoul Nafion a été à Zorgho et au studio Abazon. Abdoul Nafion dit ne pas se reconnaître dans ces déclarations parce qu’il n’a pas assisté à la confrontation. Donc, les propos des uns et des autres ne l’engagent aucunement. Une réaction qui a conduit le parquet à dire que les confrontations sont aussi possibles devant la barre. Toutefois, le conseil de l’inculpé a déploré le fait que le parquet accorde plus de crédit aux propos des autres plutôt qu’à ceux de l’inculpé à la barre. Et Me Yanogo de la partie civile de répliquer : « Les déclarations de Nafion ne valent que ce que valent  les déclarations d’un accusé. Pour ce faire, on ne doit pas balayer du revers de la main les déclarations des autres qui peuvent éclairer la lanterne du tribunal. Donc, on ne peut pas réinventer le procès pénal ». Pour plus de lumière, Me Dayamba de la partie civile a suggéré que l’on fasse la confrontation pour comprendre les choses. Et selon Me Zaliatou Aouba, ce n’est pas nécessaire du moment où ceux qui mettent en cause Abdoul Nafion n’ont pas été passés au détecteur de mensonge. Donc, sur quelles bases peut-on affirmer que ce que disent les co-accusés est la vérité et ce que dit l’inculpé sont des mensonges ? Toujours est-il que Me Aouba a martelé qu’on ne peut pas fonder la culpabilité, en matière pénale, sur ce que les co-accusés ont dit en ce sens que l’inculpé a dit qu’il était de garde et qu’il y a un cahier sur lequel il a écrit son nom. Elle a suggéré que l’on vérifie si dans le cahier, le nom y est ou pas pour savoir s’il était à Zorgho ou pas. Le parquet a contesté cette suggestion parce que même s’il est vrai que le registre pourrait l’attester, le constat est qu’on n’était pas dans une situation normale. Et le cas de Diallo Adama en est la preuve. En effet, même étant détaché à la sécurité de Dadis Camara, il lui a été demandé de rejoindre le camp suite aux instructions du chef. Pour ce qui est des déclarations, le parquet a précisé que tout le dossier du putsch manqué est essentiellement composé de déclarations. Et à l’endroit des avocats, le procureur a dit ceci : « Quand les déclarations les arrangent, ils ne se gênent pas de dire au greffe de les consigner ». Toujours est-il que le parquet militaire a relevé que « nous sommes en matière pénale et même le mensonge peut être un moyen de défense efficace, mais qui ne porte pas toujours des fruits. Alors, au tribunal d’analyser. Mais qu’on ne nie pas demander au parquet la possibilité d’exploiter les déclarations. Sinon, à cette étape, on ne peut pas au parquet des preuves scientifiques ». Tout compte fait, Me Alexandre a relevé : «on semble être dans une impasse ». C’est dans cette atmosphère que le président du tribunal, Seidou Ouédraogo, a suspendu l’audience à 13h.   A l’instar de ses frères d’armes, le Sergent Nobila Sawadogo, Abdoul Nafion Nébié,  le soldat de 1re classe Medanimpo Lompo était à la barre dans l’après-midi du 23 juillet 2018 à la salle des banquets de Ouaga 2000.  Né en 1989 à Diapaga, marié et père de 3 enfants, soldat de 1re classe, ce dernier est poursuivi pour trois chefs d’inculpation. Il s’agit de : « Attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre, coups et blessures volontaires ».  En effet, relate le soldat de 1re classe, le 16 septembre 2015, le major Eloi Badiel m’a trouvé à mon lieu de garde et m’a demandé comment j’allais, puisqu’il savait que je souffrais d’un mal de genou.  Il lui a répondu qu’il n’allait toujours pas bien. «Si vous pouviez me trouver un autre poste de garde, ça me ferait du bien», a-t-il confié. Ce que le major Eloi Badiel a fait, puisqu’il lui a trouvé un autre poste à la résidence de l’ancien chef d’Etat.  Il est resté à ce poste pendant trois jours. C’est après avoir su que c’était un coup d’Etat qu’il a décidé de quitter les lieux pour se rendre au camp 1178. Signalons que le soldat de 1re  classe Médanimpo Lompo, était du Groupement des unités spéciales (GUS), cette unité chargée d’assurer la sécurité des hauts responsables de la Présidence ; mais lui particulièrement, était, selon ses dires, détaché pour assurer la sécurité de la famille de l’ex-président Blaise Compaoré, notamment sa fille Djamila Compaoré.  A la question du parquet de savoir ce qu’il a remarqué une fois sur le lieu de son nouveau poste de garde, il a répondu qu’il n’avait rien remarqué de spécial parce que de là où il était, il lui était difficile de voir ce qui se passait à l’extérieur ou autour de la résidence où étaient supposées être les autorités de la Transition. En plus de l’emplacement, c’était aussi son premier jour de garde,  après son retour d’une mission onusienne au Soudan.    Aujourd’hui, le caporal Timboué Tundaba sera appelé à la barre pour répondre des faits qui lui sont reprochés.  Né en 1974 à Solenzo, marié et père de 4 enfants, il est accusé d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre, coups et blessures volontaires.

Françoise DEMBELE et Issa SIGUIRE

 

 

 

 

 

 



Avec lepays.bf

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